mercredi, mars 12, 2025
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Thierry de Montbrial affronte le chaos du monde

L’essayiste et fondateur de l’Institut Français des Relations Internationales nous fait entrer dans « L’Ère des affrontements », une somme pour mieux comprendre le monde en train de se défaire et de se refaire. Un livre qui tombe ad hoc.

GÉOPOLITIQUE. Comme dit notre poète altoséquanais national Booba, « les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire ». Le vingt-deuxième ouvrage écrit par Thierry de Montbrial, 81 ans, lui, pourrait bien devenir pour les étudiants en géopolitique et en relations internationales, de plus en plus nombreux, comme l’équivalent du Berstein et Milza pour leurs camarades des sciences politiques ou d’Histoire. Pas un bréviaire mais un parfait condensé des Perspectives que le fondateur de l’IFRI livre depuis plus de quarante ans, chaque été en ouverture du rapport Ramses.

Il faut choisir ses guerres, mais aussi définir la paix que nous voulons.

 Ici, Montbrial se met dans les pas d’un Zbigniew Brzeziński, l’ancien conseiller de Carter à la Maison-Blanche et auteur en 2009, du Grand échiquier, un essai géopolitique de référence et extralucide de l’époque. Le Français se présente comme un réaliste parmi l’extrême majorité d’idéalistes que l’Occident compte en ses rangs notamment depuis l’après Mur de 1989. En un demi-millier de pages, le lecteur est ramené 45 ans en arrière. La révolution islamique de 1979 en Iran marque la fin de la paix et borne le début de mouvements puissants, qui s’accéléreront dans les années 1990, vers notre monde actuel. L’historien et think tanker des relations internationales déroule la fresque des grands tournants géopolitiques. On découvre ou l’on se rappelle d’ailleurs qu’en 1987, il n’y avait guère qu’un Emmanuel Todd pour prédire la réunification imminente de l’Allemagne et la chute de l’Union soviétique, ou encore que ce sont des analystes de Goldman Sachs qui ont forgé le terme de BRICS, qui a instantanément fait florès. Thierry de Montbrial défend aussi son point de vue, qui réside dans l’objet de la Word Policy Conference qu’il anime depuis 2008 : un monde raisonnablement ouvert à travers une gouvernance suffisamment organisée. L’analyste se défie de la théorie de la fin de l’Histoire et de la victoire prétendument irréversible de la démocratie, ses connaissances sur les menaces des « nouveaux barbares » ne le font pas frémir et le disposent à affronter lui aussi intellectuellement les désordres et le chaos. Contrairement à tant d’autres analystes, il n’est pas du tout convaincu que la civilisation européenne soit immortelle, mais en attendant, il lui trouve tout de même un rôle et des ressorts dans cette ère dangereuse. 

En ressortant de cette lecture, nous pouvons retrouver dans la pelote confuse et complexe, le fil des événements et des tournants décisifs qui ont changé notre manière de voir le passé et d’envisager l’avenir. Or, ces mentalités post-1989 à l’œuvre, nous dit Montbrial, ne semblent plus d’actualité. À l’heure où les géants technologiques nous ramèneraient presque à un monde pré-westphalien, celui des familles régnantes, nous sommes confrontés en tant que sociétés à l’heure des choix. Il faut choisir ses guerres, mais aussi définir la paix que nous voulons. Montbrial reste le meilleur penseur français de la fin du Tiers-Monde qui a accouché de ce nouveau non-alignement dans une nouvelle échelle de puissance. Vivons-nous les débuts d’une nouvelle guerre froide ? Doit-on s’attendre à une troisième guerre mondiale en très grand ? Voilà pourquoi il est urgent de le lire pour mieux comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là, pris en otage par l’apathie et l’impréparation des régimes plus-que-réalistes, qui « se sont réfugiés au chaud, dans le rêve de la fin de l’Histoire : la propagation irrésistible de l’économie de marché et de la démocratie conduirait à la paix perpétuelle… ». Le petit manège enchanté de la mondialisation éternellement économique et pacifique est cassé.

Maxime Verner


L’Ère des affrontements, Thierry de Montbrial, Dunod, 552 p., 29 €. Paru : février 2025.

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