lundi, décembre 23, 2024
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« Les nuits sans Kim Sauvage » : la pop littérature de Sabrina Calvo

Comment réaliser et dépasser la critique musicale d’un vieux tube par un roman radical et proprement fulgurant

Littérature. Vic est pigiste à Jeudi, magazine de mode pour ados dont le pendant virtuel Thursday est une bible de la fashion. Jeune adulte dysfonctionnelle, elle survit avec le renfort de Maria Paillette, son IA buggée qui lui crie son amour – dont elle ne sait que faire – en cherchant le scoop qui lui donnera une place mieux assise dans sa rédaction. Étudiant de près l’archéo clip des Nuits sans Kim Wilde (Souchon & Voulzy, 1986), Vic remonte une piste qui désentrelace peu à peu réel et virtuel et reprend possession de son être, qui jusqu’alors était virtualisé et dégénéré bien malgré elle. 

Mais vivre ce rêve a un prix : déchirée entre les intrigues d’un luxe inaccessible et le poisseux de l’Ouvert, (monde artificiel où se sont engouffrés les désirs d’une humanité en bout de course), Vic va devoir choisir de s’extirper du Clos et de sa réalité altérée. Un choix qui pourrait bien mener, par le jeu impitoyable des forces politiques et cosmiques présidant à la structure même de la réalité, à la désintégration du capitalisme peut-être, à celle du virtuel sans doute, mais plus certainement encore à nos derniers amours.

Ce monde cyber mit magistralement en scène par l’écriture aussi virtuose que débridée de Sabrina Calvo sait se souvenir du Dick d’Ubik, du Barthes du Sytème de la mode et de la trilogie de William Gibson (Identification des schémas, Code source et Histoire zéro) avec, en fond, le bruit incessant du No Logo de Naomi Klein. En faisant jouer à l’IA de Vic, un rôle de hacker, le récit brise méthodiquement, un à un, les miroirs pour recompacter toute la cohérence de l’héroïne. 

Balades métaphoriques, paysages dévastés, uniformisation des corps, pensée unique… Le Paris alternatif dépeint par la romancière est celui d’une ville algorithmée, surveillée, marketée, matrixée, où l’anomalie et l’inattendu n’ont pas leur place. Calvo interroge l’évolution de notre société, des pouvoirs et de nos mentalités. Ainsi, cette idée dérangeante et libertaire : Le modèle patriarcal devient obsolescent, mais laisse la place à la force féminine délétère. Pas de juste milieu dans ce roman, la rage prolifère. L’atypicité, elle, se trouve dans les profondeurs d’un subconscient collectif oublié. 

Avec ce roman coup de poing/ coup de cœur, vous trouverez de quoi ressentir le passage du temps et l’impasse qu’elle vous prévoit. Les Nuits sans Kim Sauvage, ou comment réaliser et dépasser la critique musicale d’un vieux tube par un roman proprement fulgurant qui s’installe durablement dans la mémoire du lecteur en revitalisant les questions de la pop philosophie. Superbe réflexion sur le temps qui ne se passe pas comme prévu.

Jean-Pierre Simard 

Les Nuits sans Kim Sauvage, Sabrina Calvo, La Volte, 352 p., 19 €. Paru : septembre 2024. 

 

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