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Métiers d’art recherchent artisans de mots

« Métiers d’excellence », « identité culturelle de nos territoires », « patrimoine vivant », « Slow made »… La sémantique des métiers d’art affirme un positionnement plus élitiste, au risque de se couper d’une partie de son public.

 

 

Les 101 mots des métiers d’art à l’usage de tous, sous la direction de Brigitte Flamand, Archibooks, 120 pages, 12,90 €. Publié septembre 2024. Une initiative révélatrice de l’actuel brouillard sémantique qui pèse sur les métiers d’art. Révélatrice, débroussailleuse et salutaire !

PATRIMOINE & INNOVATION. Depuis une dizaine d’années, la sémantique des métiers d’art évolue avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’artisans et une meilleure reconnaissance institutionnelle. Des plans gouvernementaux et régionaux de formation, des tiers lieux, des revues à l’esthétique léchée et des colloques pointus fleurissent, et témoignent de l’intérêt et de l’élargissement des publics pour les métiers d’art, entre patrimoine et innovation. Les grandes maisons ne s’y sont pas trompées, et s’appuient dorénavant sur cet élan de reconnaissance de la dimension unique des métiers d’art pour nourrir leur propre communication. 

Instagram est devenu un puissant champ de découverte et permet aux artisans d’art d’exposer leurs plus belles créations, en toute autonomie et libérés du prisme de la presse grand public. Au-delà des images, un vocabulaire spécifique s’est développé pour parler de ces métiers hautement exigeants : Métiers d’excellence, identité culturelle de nos territoires, patrimoine vivant, savoir-faire ancestraux… De ce sfumato de termes et de concepts, je retiens (et je regrette) que l’image globale qu’il façonne soit celle de l’élitisme, bien loin de ce que j’estime être la nature première de l’artisan d’art : le travail manuel, si longtemps et bêtement opposé au travail intellectuel. 

« La sémantique utilisée actuellement ne correspond pas à la réalité , convient lui-même Marc Bayard, conseiller à la présidence du Mobilier national, et artisan du concept de slow made. Certes, les 281 métiers d’art sont exercés avec passion et ténacité, mais exigent de nombreux sacrifices sociaux à ne pas négliger. « La plupart des artisans d’art deviennent d’excellents exécutants, mais bien peu seront reconnus comme de véritables créateurs. Le glissement de sémantique d’artisan d’art vers celui d’artiste est pour moi trompeur. Il y a beaucoup d’appelés pour peu d’élus, dans ces métiers très exigeants ». 

Pour Sandra Furlan, grande opératrice de la valorisation des métiers d’art et fondatrice de MDMA Paris,  la question d’une sémantique à repenser est d’actualité :  « Depuis ces 5 dernières années, la tentation d’utiliser l’image des métiers d’art comme marqueur d’excellence et d’en dépoussiérer l’image, s’accélère. Les institutions et les marques revalorisent les techniques artisanales et les inscrivent dans un ancrage profondément contemporain. Pour autant, les mots utilisés pour en parler aujourd’hui sont patrimoniaux et figés. Ce qui donne l’impression d’un monde très fermé et élitiste », assène-t-elle. 

« Les mots utilisés pour parler de l’artisanat d’art sont patrimoniaux et figés. » Sandra Furlan

Renouveler vraiment l’imaginaire des métiers d’art passera par une langue professionnelle moins ancrée dans le passé et intellectuellement moins paresseuse, inscrite dans le réel des territoires de production, et sans doute moins liée – voire inféodée – à l’univers des industries du luxe. Les nouvelles générations d’artisans d’art ont besoin d’adhérer à des préceptes forts pour sauter le pas. « Face aux grandes crises qui s’annoncent, la nouvelle génération a besoin de trouver du sens à son engagement professionnel notamment par les chemins de l’écologie et du développement durable, surenchérit Marc Bayard. Je crois aux métiers d’art, à leur capacité à repenser le système productif de proximité. A mon sens, l’avenir est de produire des biens à valeur ajoutée supérieure. Il nous faut tendre vers une économie de la recherche et de l’innovation ». Pour Sandra Furlan, viendra le temps d’un nouveau vocabulaire plus spontané, moins marketé : « L’artisan d’art a besoin d’affirmer son image, son positionnement, son identité. ». L’artisanat d’art n’a pas dit son dernier mot. 

Béatrice Prestage

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