dimanche, décembre 22, 2024
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Lorsque Jupiter avait un parrain corse…

Le journaliste romancier Yves Revert retrace l’amitié entre le futur président de la République et un financier corse du PCF

Le hasard, s’il existe, a voulu que j’arrive au tout dernier délai accordé pour cette critique pile au moment du discours du président français célébrant la réouverture de Notre-Dame de Paris. Ce comédien pérorant de son éternel accent liturgique et jouissant, encore une fois, de son sentiment de vivre un moment historique, comme si l’Histoire pouvait s’écrire d’avance, vivait son crépuscule public. Il ne reste à ce pâle rejeton de Malraux plus qu’un grand discours à offrir au peuple, qui semble l’attendre : celui de son départ. Et s’il est un livre qui nous laisse l’envisager, c’est bien celui que je dois vous présenter.

Dans son roman Tous les trésors de la vie à nos pieds, le journaliste Yves Revert s’inspire d’une histoire vraie qui n’a, bizarrement, pas passé le mur du son médiatique. Il faut plonger loin dans notre mémoire, notre grande mémoire, pour imaginer un jeune provincial, futur président de la République qui, n’ayant pas encore « traversé le jardin » entre Sciences Po et l’ENA, grille ses nuits rue Mouffetard. Autant le divulgâcher, le roman de d’Yves Revert n’est pas à la hauteur narrative et d’écriture du sujet, mais on retient un mécanisme de puissante fascination qui nous fascine à notre tour. Un beau soir, la route dudit « Alexandre » croise celle d’un vieux coco corse. Le narrateur-témoin, ami très proche du bel « Alexandre », assiste alors à l’attraction, si ce n’est la vénération pour ce vieux play-boy écumant les boîtes antillaises de la banlieue nord, les trimballant dans sa vieille américaine et réglant toutes leurs consommations de joyeuse bande d’ambitieux ayant, en effet, tout à leurs pieds. Cet homme a bel et bien existé, même s’il est mort seul et sans éclat. Il s’appelait Robert Piumati. Il est décédé en 2009, mais on cultive encore des doutes sur son année de naissance, comme l’a souligné la journaliste Ariane Chemin dans le premier (et dernier) portrait de référence, publié en 2019.  

Alexandre veut être au cœur des rouages du pouvoir, s’entourer de puissants et gravir les échelons en grillant les politesses

Dans la vraie vie, c’est Marc Ferracci (le météorique ministre de l’Industrie du gouvernement Barnier) qui a présenté Piumati, l’un des financiers du parti communiste, patron truculent, électrique très énigmatique à son camarade. Lui contrairement à Alexandre « son presque jumeau » loupera deux fois l’ENA avant de devenir économiste, quand le narrateur romanesque de Revert, dont on ignore le prénom, est lui directeur de succursale à la Banque de France. Il voit son ami loucher sur son protecteur, puis sur son amour de jeunesse, elle aussi protégée du vieux coco et clé de voûte d’un système d’ambition qu’il ne découvrira que bien plus tard. Au bar La Contrescarpe, rue Mouffetard, Piumati régale cette jeune assemblée de ses récitations de bréviaires marxistes et de ses liasses de Pascal, scène de folklore car le roman nous plonge plutôt dans les deux voies possibles pour de parfaits petits-bourgeois. Le témoin se marie, aime, observe, bref meurt à petit feu, tandis qu’Alexandre veut être au cœur des rouages du pouvoir, s’entourer de puissants et gravir les échelons en grillant les politesses. Mais à la fin, le bel « Alexandre » se choisit d’autres amis pour gouverner, un autre protecteur pour le financer et l’introduire, encore plus vieux que Piumati mais tout à fait bon chic bon genre : le financier rocardien Henry Hermand est son témoin de mariage, après avoir déserté la montagne magique pour assister le grand philosophe du « néanmoins », Paul Ricœur. « Alexandre » a même rejoint le héraut du souverainisme, une douzaine d’années avant de combattre cette même ligne incarnée par Arnaud Montebourg. Le narrateur ne pleure pas sur les promesses perdues, sur son vieux camarade répondant à un passant corse, à deux tours de son accession au pouvoir suprême, qu’il se souvient de son « ami Robert ». Celui qui lui fit découvrir les joies de La Rotonde et qui chercha à lui faire accomplir son dessein, avant que la bête ne lui échappe. Cette bête blonde, Alexandre-Aramis, qui, dans une partie de chasse, tombe dans les bras de son vieil ami pour pleurer sur sa solitude de vainqueur. 

Ces jours-ci, l’enseignement de ce roman pourtant non essentiel résonne d’autant plus vrai : ceux qui avaient tous les trésors de la vie à leurs pieds peuvent connaître toutes les formes de déchéances, même du succès.

Maxime Verner pour Le Caoua des idées


Tous les trésors de la vie à nos pieds, Yves Revert, Le Rouergue, 272 p., 21,80 €. Parution : janvier 2025.

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