
#Politique-Culturelle. Le chantier de Notre-Dame n’est pas encore froid, que les difficultés pleuvent sur les métiers d’art comme à Gravelotte : après une augmentation des cours de matières premières, de l’énergie et de production, conjuguée à la frilosité post-Covid du public à franchir la porte des ateliers, bon nombre de professionnels en 2025 ne parviendront plus à dégager un salaire, même minime. Le financement des « entreprises du patrimoine vivant « (EPV) a failli être complètement remis en cause et ce n’est qu’après une belle mobilisation des acteurs que Bercy est revenu sur la coupe franche. Reste que le nombre des EPV est en baisse, tandis que le nombre des dossiers de labellisation en attente s’embouteille. Alors que l’Institut Supérieur des Métiers (ISM) avait bien organisé la labellisation des entreprises, depuis cinq ans nous sommes allés de Charybde en Scylla pour aboutir à son attribution au leader mondial de testing, d’inspection et de certification, la société suisse SGS. Exit l’Institut pour les savoir-faire français (ancien Institut National des Métiers d’Art) qui traverse des difficultés et non des moindres, au point de devoir faire payer les artisans pour participer aux Journées Européennes des Métiers d’Art. Dans ce même mouvement de renoncement de la puissance publique, des questions continuent à inquiéter les Meilleurs Ouvriers de France : Quid de l’organisation de leur concours ? Vont-ils disparaître faute de moyens ?
Les maîtres d’art eux aussi ont le blues et peuvent se sentir, à juste titre, esseulés. Le psychodrame budgétaire de ces derniers jours sur le taux de TVA des micro-entrepreneurs révèle au mieux une vraie indifférence (on reste poli) aux TPE, et au pire, un asservissement aux lobbies anti micro-entreprise des parlementaires. Ce manque de sensibilité politique est gravissime et peut à moyen terme, laisser libre cours à la rancœur et la désolation. Et que dire de l’infernal cycle triannuel : les combats parlementaires autour du crédit d’impôt métiers d’art relèvent du même tonneau d’incompréhension, mépris et ignorance crasse pour l’importance de l’économie de proximité.
Bien d’autres points doivent nous alerter sur les obstacles auxquels fait face ce secteur inexplicablement délaissé, alors qu’on ne cesse de vanter les ressources des métiers d’art et du design : grandes difficultés de recrutement par les entreprises de savoir-faire alors qu’il existe une demande de produits bien faits localement, formations aux métiers rares ou orphelins délaissées à un environnement bien souvent incapable de transmettre faute de temps, d’argent ou de capacités, et diplôme national des métiers d’art et du design (DNMAD) aux heures de pratique insuffisantes. Rien en va plus. Il est grand temps de se ressaisir.
Menacés, les métiers d’art constituent pourtant un levier essentiel pour la revivification économique et sociale de territoires abîmés.
Certes, cela paraît moins glamour et géostratégique que les enjeux de l’IA, mais les métiers d’art peuvent être considérés comme un levier d’importance nationale pour ce qui concerne la revivification de territoires économiquement essoufflés, et comme un puissant vecteur d’innovation des techniques et des pratiques. N’oublions pas que la France est riche de ses savoir-faire grâce au soutien d’une politique publique constante depuis les années 1970, ouvrage politique qu’il serait désastreux culturellement et socialement de mettre à bas et en catimini, comme des gestes fébriles et des décisions sèches le laissent à penser depuis quelques semaines. Réveillons-nous !
©Philippe Huppé pour Le Caoua des idées
Ancien parlementaire, historien de formation, il est actuellement consultant pour ce qui relève des métiers d’art.
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Une lente reconnaissance publique depuis 1976
Quelques jalons sont nécessaires pour bien comprendre la nécessité d’une politique forte au service des métiers d’art et d’excellence :
1976, le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, commande un rapport, « Les difficultés des métiers d’art », à Pierre Dehaye, directeur de l’Hôtel des Monnaies. Il préconise la création de la Société d’Encouragement aux Métiers d’Art (SEMA).
1994, création d’un conseil des métiers d’art par le ministère de la Culture et première promotion de « Maîtres d’art ».
1996, la loi Raffarin consacre l’existence des artisans d’art au sein de la catégorie professionnelle des artisans.
2003, l’arrêté Dutreil officialise une nomenclature qui consacre 217 métiers d’art répartis en 19 domaines.
2009, la sénatrice Catherine Dumas remet son rapport au Premier ministre.
2010, la SEMA devient l’Institut National des Métiers d’Art (INMA), association reconnue d’utilité publique (ARUP).
2014 et 2016, deux lois qui donnent une définition légale des métiers d’art.
2015, un arrêté de la ministre chargée de l’artisanat, Carole Delga, fixe une nouvelle liste des métiers d’art. Désormais, 281 activités, réparties dans 16 domaines constituent le champ des métiers d’art.
2018, le député Philippe Huppé remet son rapport, « France, Métiers d’Excellence », au Premier ministre, Édouard Philippe.
2022, le député Philippe Huppé remet son rapport d’information, « Les artisans d’art : des gens de mérite », à l’Assemblée nationale.
2023, Nouvelle stratégie nationale en faveur des métiers d’art, inspirée par le rapport « France, Métiers d’Excellence ».
2024, Philippe Huppé remet son rapport, « Développement des Indications Géographiques, au titre de la stratégie nationale en faveur des métiers d’art », aux ministres de la Culture et de l’Artisanat.
2025, création du nouvel établissement public dédié aux arts décoratifs et métiers d’art : Manufactures nationales -Sèvres-Mobilier national.
Ph.H